mardi 12 décembre 2017

Homélie pour les obsèques de Jean d'Ormesson

Il y a quelques jours, il m’a été donné de célébrer les obsèques d’une belle-sœur de celui qui nous réunit ce matin. Au début de la liturgie, Jean d’Ormesson a pris la parole de façon bouleversante. Avec des sanglots dans la voix, en évoquant les joies de la vie bien sûr (la Corse, les voyages, l’élégance…) et puis sur le ton de la prière : « Seigneur, accueille-la dans ta lumière, dans ta paix, dans ta gloire ».
Ce matin, il y a des sanglots dans nos voix et dans nos cœurs, comme dans le cœur de tant de Français pour qui, grâce au Duc de Plessis-Vaudreuil et au vieux château de Saint-Fargeau, grâce à « Apostrophes » et à la télévision, grâce au « chant d’espérance » qui retentit par chacune de ses œuvres, Jean d’Ormesson était devenu comme un père, un frère, un ami. Il y a des sanglots dans nos cœurs – Jésus lui-même a pleuré son ami Lazare – mais il y a aussi, grâce à Jean d’Ormesson, davantage d’amour de la vie, davantage d’émerveillement devant la beauté du monde et du cœur humain, ce que les chrétiens nomment « l’action de grâce » et dont saint Paul fait l’attitude spirituelle par excellence. Il y a les sanglots, il y a l’action de grâce et il y a la prière, pour que Dieu, dont le plaisir est de pardonner, purifie Jean d’Ormesson de tout ce qui en lui a besoin de l’être et achève d’illuminer son beau regard par la splendeur de sa lumière. 
Toute vie humaine constitue comme un « itinéraire de Paris à Jérusalem » pour reprendre le titre de Chateaubriand dont Jean d’Ormesson a si souvent et si bien parlé : un itinéraire du Paris de la culture, de l’élégance et des lumières terrestres vers la Jérusalem céleste, la Jérusalem de joie et de paix évoquée par le Psaume 121, la Jérusalem d’éternité où s’éclaire enfin le mystère du temps sur lequel Jean d’Ormesson s’est tant interrogé. Toute l’existence humaine est comme saisie dans l’appel de Jésus devant le tombeau de Lazare : « Lazare, viens dehors ! ». En dépit des apparences, le Christ ne nous accompagne pas du berceau au cimetière mais nous appelle à sortir progressivement des tombeaux de nos peurs, de nos étroitesses, de nos certitudes trop faciles pour entrer dans la plénitude de sa vie. De L’amour est un plaisir en 1956 au Guide des égarés, il y a quelques mois, Jean d’Ormesson a parcouru, à sa manière, cet itinéraire d’approfondissement et de dilatation intérieure : la marche de son existence, comme celle du « juif errant » de son roman, va pouvoir maintenant s’achever dans « un hosanna sans fin ».
Il y a quelques années, Jean d’Ormesson avait accepté de participer à la rédaction d’un Chemin de Croix, avec certains de ses confrères de l’Académie, comme Pierre Messmer, Maurice Druon, Alain Decaux, Max Gallo, Pierre-Jean Rémy et le Cardinal Lustiger, pour ne citer que ceux qui l’ont précédé dans la Maison du Père. Le commentaire de Jean d’Ormesson à la douzième station, la mort de Jésus sur la croix, prend aujourd’hui une force singulière, la force d’un ultime « chant d’espérance » : « Il n’y a qu’une Révolution dans toute l’histoire de l’humanité : c’est la mort de Jésus sur la Croix. Le chemin de croix est l’image de notre condition. En dépit de tous les bonheurs et de tous les plaisirs passagers qui suffisent à nous faire aimer la vie, nous ne naissons que pour mourir. A travers son chemin de Croix, notre Dieu nous montre la voie sous les traits de son Fils qui se confond avec Lui. Nous vivons avec Lui, nous tombons trois fois, et mille fois, avec Lui, nous sommes soutenus avec Lui par sa Mère, qui est aussi la nôtre, par Véronique, par Simon de Cyrène, nous mourrons avec Lui. Et nous entrons avec Lui dans la Vie éternelle ».
Père Matthieu Rougé

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